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Contester la saisie pénale d’actifs numériques

 

Désireux de « prendre le tournant révolutionnaire du numérique », le législateur a souhaité faciliter la saisie pénale des actifs numériques « qui sont aujourd’hui plus rapidement et aisément dissimulables que des actifs bancaires » (exposé des motifs de la loi n°2023-22 du 24 janvier 2023 d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur).

 

La nature juridique des actifs numériques

 

Aux termes de l’article L. 54-10-1 du Code monétaire financier, auquel fait référence l’article 706-154 du Code de procédure pénale, les actifs numériques comprennent d’une part les jetons et d’autre part les monnaies numériques. Les jetons (« tokens ») concernés sont ceux mentionnés à l’article L. 552-2 du Code monétaire et financier, à l’exclusion de ceux qui remplissent les caractéristiques des instruments financiers mentionnés à l’article L. 211-1. L’article L. 211-1 du Code monétaire et financier classe les instruments financiers en deux catégories : les titres financiers (titres de capital émis par les sociétés par actions ; titres de créance ; parts ou actions d’organismes de placement collectif) et les contrats financiers (contrats à terme figurant sur une liste fixée par décret) et des bons de caisse mentionnés à l’article L. 223-1 du même Code (l’article L. 223-1 du Code monétaire et financier définit les bons de caisse comme des titres nominatifs et non négociables comportant engagement par un commerçant de payer à échéance déterminée, délivrés en contrepartie d’un prêt).

 

Les cryptomonnaies se définissent comme « toute représentation numérique d’une valeur qui n’est pas émise ou garantie par un banque centrale ou par une autorité publique, qui n’est pas nécessairement attachée à une monnaie ayant cours légal et qui ne possède pas le statut juridique d’une monnaie, mais qui est acceptée par des personnes physiques ou morales comme un moyen d’échange et qui peut être transférée, stockée ou échangées électroniquement » (C.mon.fin., art. L. 54-10-1). Le jeton est défini comme « tout bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant d’identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien » (C.mon.fin., art. L. 552-2).

 

Les jetons constituent donc des biens meubles incorporels, qualification également applicable aux monnaies numériques, comme le Conseil d’Etat a eu l’occasion de le préciser incidemment à propos des bitcoins (CE, 8èmes et 3èmes chambres réunies, 26 avril 2018, n°417809).

 

Les deux modalités de saisie pénale spéciale applicables aux cryptoactifs

 

Initialement, la seule voie procédurale ouverte était celle de l’article 706-153 du Code de procédure pénale applicable aux « biens ou droits incorporels dont la confiscation est prévue par l’article 131-21 du Code pénal » (C.pr.pén., art. 706-153, al.1er). L’article 131-21 du Code pénal précise que la peine de confiscation s’applique à tous les droits incorporels (C.pén., art.131-21, al.10) ainsi qu’à tout bien quel qu’en soit la nature (C.pén., art.131-21, al.2, 5, 6 et 9). La saisie pénale est alors décidée par le juge des libertés et de la détention, sur requête du procureur de la République, au cours de l’enquête préliminaire ou de flagrance, ou par le juge d’instruction au cours de l’information judiciaire.

 

S’agissant spécifiquement des sommes d’argent versées sur un compte ouvert auprès d’un établissement habilité par la loi à tenir des comptes de dépôts, le législateur a créé une procédure dérogatoire permettant de saisir plus rapidement les fonds (C.pr.pén., art.706-154). Cette procédure, dont l’existence est justifiée par la volatilité des biens en cause pouvant faire craindre une dissipation rapide (Crim., 24 juillet 2019, n°19-80426 ; n°19-80422 ; Crim., 29 janvier 2020, n°19-84.631), permet à l’officier de police judiciaire de procéder lui-même à la saisie sur autorisation donnée par tous moyens (Crim., 17 avril 2019, n°18-84.057) du procureur de la République ou du juge d’instruction (C.pr.pén., art.706-154, al.1er). La particularité de la procédure de l’article 706-154 du Code de procédure pénale est que l’ordonnance est postérieure à la saisie pénale. En effet, Dans un délai de 10 jours à compter de la date de notification de la décision de saisie à l’établissement bancaire par l’officier de police judiciaire (Crim., 1er avril 2020, n°19-85.770), une ordonnance de maintien de saisie pénale ou de mainlevée de cette saisie doit être rendue par le juge des libertés et de la détention ou le juge d’instruction. A défaut, l’autorité donnée de pratiquer la saisie pénale cesse de produire son effet (Crim., 7 juin 2017, n°16-86.898).

 

La loi du 24 janvier 2023 a étendu aux cryptoactifs la procédure dérogatoire de l’article 706-154 du Code de procédure pénale. La saisie pénale peut donc être réalisée dans les mêmes conditions que les liquidités d’un compte de dépôts (C.pr.pén., art.706-154, al.1er). Sauf si la saisie est cantonnée à un certain montant ou, le cas échéant, à un certain nombre d’actifs numériques, elle s’applique à l’ensemble des sommes ou des actifs numériques détenus au moment de la saisie (C.pén., art.706-154, al.3).

 

L’Assemblée nationale avait adopté un amendement tendant à préciser que la saisie pouvait s’appliquer à l’ensemble des actifs numériques, qu’ils soient ou non conservés par un prestataire de service sur actifs numériques (PSAN) enregistré auprès de l’Autorité des marchés financiers. L’amendement visait à « la faculté de saisie aux actifs numériques détenus dans des portefeuilles numériques cachés ou gérés par des prestataires qui ne sont pas enregistrés auprès des régulateurs institutionnels » (Amendement n°CL449 déposé le 28 octobre 2022). Il s’agissait donc de permettre la saisie d’actifs illégalement détenus dans des portefeuilles numériques. Le Sénat n’a pas retenu cette modification, qui n’apparaît pas non plus dans le texte définitif, sans doute parce que cette précision textuelle n’aurait pas suffi à rendre possible la saisie d’actifs détenus par des prestataires non rattachés à un PSAN (en ce sens, propos de Mme Nathalie Goulet lors de la séance du 12 octobre 2022 au Sénat). Il est exact que de la même manière que ce qui rend possible la saisie de liquidités est la présence d’un tiers pouvant être requis en ce sens, à savoir l’établissement bancaire, la saisie de cryptoactifs par décision de l’officier de police judiciaire ne se conçoit sans doute qu’en présence d’un PSAN.

 

Par ailleurs, la saisie d’actifs numériques sur des plateformes étrangères ne pourra pas non plus être réalisés par la voie de l’article 706-154 du Code de procédure pénale mais devra emprunter celle de l’entraide judiciaire (Rapport n°436 de M. Florent Boudié, fait au nom de la commission des lois, déposé le 4 novembre 2022).

 

La saisie pénale de cryptoactifs se révèlent en pratique plus délicate que la saisie de sommes d’argent. L’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) doit ouvrir des portefeuilles numériques sur lesquels sont versés les actifs. Par ailleurs, contrairement à la saisie de liquidités, la fluctuation parfois importantes du cours des cryptomonnaies pourrait devoir conduire l’autorité à envisager une aliénation avant jugement ou à s’exposer à ce que la responsabilité de l’Etat soit engagée.

 

Le recours contre une ordonnance de saisie pénale ou de maintien de saisie pénale d’actifs numériques

 

Que l’ordonnance ait été rendue sur le fondement de l’article 706-153 ou de l’article 706-154 du Code de procédure pénale, elle est notifiée au ministère public, au titulaire du compte bancaire ou au propriétaire de l’actif ainsi que, s’ils sont connus, au tiers ayant des droits sur le compte ou l’actif (C.pr.pén., art.706-153, al.2 et art.706-154, al.2).

 

Lorsque l’ordonnance est prise sur le fondement de l’article 706-153 du Code de procédure pénale, elle provoque la saisie pénale. S’il est possible que le propriétaire des actifs numériques constate la saisie avant de recevoir l’ordonnance, le temps séparant la saisie de la notification de l’ordonnance par courrier recommandé ou par remise par un officier de police judiciaire sera relativement bref. Il sera plus long en cas de maintien de saisie sur le fondement de l’article 706-154 du Code de procédure pénale dès lors qu’un délai de 10 jours peut déjà séparer la saisie effective par officier de police judiciaire de la rédaction de l’ordonnance de maintien qui doit encore être notifiée au propriétaire.

 

Pour le reste, la contestation suit le régime classique de l’appel en matière de saisies pénales spéciales. Le délai d’appel est de 10 jours à compter de la notification de l’ordonnance (C.pr.pén., art.706-153, al.2 et art.706-154, al.2) qui est la date d’expédition par le greffier et non de réception par le justiciable (Crim., 14 juin 2023, n°22-85.277). En pratique, le délai n’est donc jamais de 10 jours.

 

L’appelant dispose des pièces de la procédure se rapportant à la saisie pénale qu’il conteste, formule suffisamment vague pour donner lieu à d’ardents débats devant la chambre de l’instruction de la Cour d’appel, juridiction chargée d’examiner le recours contre les ordonnances de saisie pénale ou de maintien de saisie pénale (pour un rappel synthétique des règles en la matière : Crim., 8 mars 2023, n°22-80.896).

 

Sur le fond, lorsque la personne faisant l’objet de la saisie est mise en cause sans disposer du statut de mise en examen, sera également discutée l’existence d’indices de commission d’infractions justifiant la saisie pénale (Crim., 5 avril 2023, n°22-21.187). Cette exigence résulte du fait que la principale condition de saisissabilité est la confiscabilité qui implique que la personne soit exposée, à tout le moins de manière embryonnaire à la peine de confiscation. La question du fondement de la confiscation, parmi les sept fondements possibles, constitue également le cœur du débat, de même que, le cas échéant, l’application des principes distincts d’équivalence et de proportionnalité (Crim., 28 juin 2023, n°22-85.427). Lorsque le propriétaire, indivis ou non, des cryptoactifs saisis est un tiers non mis en cause, l’essentiel du débat portera sur les notions de libre disposition et de bonne foi.

 

En cas de confirmation de l’ordonnance par la chambre de l’instruction de la Cour d’appel, le propriétaire des cryptoactifs est recevable à déposer à tout moment, y compris pendant le délai d’audiencement de l’appel (Crim., 22 juin 2022, n°21-82.352) une requête en restitution auprès du procureur de la République au cours de l’enquête (C.pr.pén., art.41-4) ou du juge d’instruction ou cours de l’information judiciaire (C.pr.pén., art.99).

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